2. Le temps des signaux : la partition du Père
Mersenne (1636).
2.1. Les batteries d’ordonnance.
Ce que nous nommons batteries d’ordonnance identifie des roulements
conventionnels utilisés dans l’infanterie pour transmettre des ordres. Le terme
ordonnance signifie que leur nom est mentionné dans les textes règlementaires
sans que les roulements qui les différencient n’aient jamais été officiellement
notés avant 1754. La partition du Père Mersenne est donc particulièrement
intéressante en ce qu’elle est la première à fournir la notation des
principales batteries en service dans l’infanterie française.
En 1610, l’armée royale compte treize régiments d’infanterie. Nous
trouvons la première liste de batteries d’ordonnance chez le Sieur de Praissac
qui écrit en 1614 que :
« l’office de tous les tambours est de battre toutes sortes d’ordonnances;
comme la Marche, l’alarme, la chamade, doubler le pas, respondre aux chamades,
la diane et les bans ».[1]
Il nous donne aussi quelques indications sur le rôle du tambour et de
celui qui les dirige[2]. Les marques
de respect et le cérémonial militaire ne sont pas encore fixés dans les textes
et les conflits dans leur emploi en délimitent les usages, ainsi à propos de la
batterie aux champs due au roi, quand en 1633 le maréchal de la Force en
demande l’exécution : « Il eft hors de doute que la chofe fut éxecutée comme le Maréchal
le fouhaitoit, & que la réponfe du Roi paffa pour un Règlement »[3]. En
1635, le Père Monet nous apprend que la chamade est un appel « qui se fait aux portes d’une place, aus
aduenues d’un camp, quand on demande à parler à quelcun de dedans »[4].
A défaut d’ordonnance royale sur le service des troupes en
campagne, chaque chef de guerre édicte un règlement pour ses troupes ; le
cardinal de La Valette, commandant de l’armée d’Italie publie à la fin d’avril 1638
un règlement pour son armée dans lequel on trouve l’explication de l’expression
battre le premier et le second.
2.2. La partition de Mersenne[5].
A la mort de Louis XIII en 1643, l’armée royale compte trente-trois
régiments. 1643 est aussi l’année de la bataille de Rocroi, qui voit la fin de
la suprématie de l’armée espagnole avec la défaite de ses redoutés tercios. Le
fonctionnement de l’armée française s’organise sans que les règles de
fonctionnement des batteries ne soient fixées par des textes officiels. La
publication des partitions des signaux de trompette pour la cavalerie et la
collecte des batteries de tambours en usage dans l’infanterie est faite par le
Père Marin Mersenne[6] en 1636. Elle
montre l’importance que la céleustique prend dans les armées.
Dans son Livre septième (Des instrumens à percussion), il explique que
plusieurs méthodes permettent de noter les batteries. Outre les « notes
ordinaires de la musique », il emploie des caractères spéciaux agrémentés
d’accents qui correspondent à des onomatopées, vraisemblablement en usage chez
les instrumentistes pour se transmettre les batteries et identifier les
roulements qui les composent. Il cite « la Marche Françoise, la
Diane, la Chamade, l’Assemblée », « les batteries
Angloises, Hollandoises, Hespagnoles, Allemandes, &c », mais ne
fournit pas les partitions dans l’édition imprimée. Elles ne figurent que dans
son exemplaire personnel archivé à la bibliothèque du Conservatoire des Arts et
métiers qui a été édité par le CNRS en 1986. Les conditions de la collecte des
partitions ne sont pas renseignées (lieu, date, circonstances…). On peut
supposer qu’il s’agit des batteries les plus connues en usage chez les tambours
des régiments français car les partitions manuscrites sont inscrites
sous le titre de « Batteries du tambour François » et donnent
les batteries de l’ordonnance. Si ces partitions sont connues, elles n’ont
jamais été étudiées ni enregistrées. D’après les queues des notes, elles distinguent
la main droite de la gauche, mais elles ne donnent pas d’indication de rythme.
Avec l’Orchésographie, nous avions un répertoire de batteries servant à
accompagner les soldats pendant leur déplacement, avec Mersenne, un autre répertoire
apparaît servant à transmettre les ordres au sein des unités. Toutes ces
batteries relèvent des usages puisqu’elles ne sont pas officialisées.
2.3.
L’introduction de la générale en 1670.
En 1670, le ministère édicte une ordonnance qui introduit une nouvelle
batterie dans le répertoire. Une circulaire aux gouverneurs de la frontière du
18 mars 1670 avait déjà mis en service cette batterie dans les armées du Nord. La nouvelle ordonnance du 10
juillet 1670[7]
change les usages qui évoluaient
jusque là suivant les besoins de la troupe.
L’ordonnance
ne joint pas de partition pour cette nouvelle batterie. La circulaire du 18
mars précise que le « tambour au
régiment des Gardes […] est envoyé
[…] pour instruire les tambours des
troupes »[8]. Ainsi la
nouvelle batterie est enseignée à l’imitation par un tambour du régiment des
gardes françaises. Ce régiment sert de modèle et son tambour-major peut être
déjà considéré comme le tambour-major-général de l’armée royale ; même si
le grade n’a jamais existé, il en assume la fonction.
Le manuscrit Philidor attribue, en 1705, la composition de la
« générale de la garde françoise » à Lully, sans préciser de date et
la partition étant similaire à celle de la batterie du même nom figurant dans l’Instruction pour les tambours de Bombelles,
on peut en déduire que la générale en 1670 a bien été composée par Lully. Si
cette batterie ne s’exécute plus tout à fait à l’identique, le thème se
retrouve incontestablement.
L’entrée
en service de la générale marque une étape importante de la céleustique, outre
qu’il s’agit d’une intervention du commandement dans le répertoire, cette
batterie va déborder du cadre militaire pour entrer dans les usages des populations
civiles, puisqu’elle est battue dans les villes pour rassembler les populations
encore deux siècles plus tard.
[1] Du Praissac, Sieur, Les discours militaires dédiez à Sa Majesté
par le Sieur du Praissac, Paris, M D C XIIII, Des offices des gens de
guerre, chapitre XIIII, p. 141.
[2] Idem.
[3] Daniel,
Père Gabriel, Histoire de la milice
française et des changemens qui s’y sont…, Amsterdam, 1724, tome II, p. 11.
[4] Monet, Père Philibert, Invantaire des deus langues, françoise, et
latine, Lyon, 1635, p. 186.
[5] Mersenne, Père Marin (Oizé,
1588 – Paris, 1648).
[6] Mersenne, Père Marin, Harmonie universelle, Paris, 1636.
[7] Fait à St-Germain en Laye
le 10 juillet 1670. Signé Louis Le Tellier. Réglemens
et ordonnances du Roy pour les gens de guerres T. II, Paris, MDCXCI p. 272.
[8] Circulaire aux gouverneurs
de la frontière du 18 mars 1670. Archives
de la Guerre, volume 636, P. 163.
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