samedi 31 décembre 2016

Le tambour dans les armées du roi de France (2)

2. Le temps des signaux : la partition du Père Mersenne (1636).

2.1. Les batteries d’ordonnance.
Ce que nous nommons batteries d’ordonnance identifie des roulements conventionnels utilisés dans l’infanterie pour transmettre des ordres. Le terme ordonnance signifie que leur nom est mentionné dans les textes règlementaires sans que les roulements qui les différencient n’aient jamais été officiellement notés avant 1754. La partition du Père Mersenne est donc particulièrement intéressante en ce qu’elle est la première à fournir la notation des principales batteries en service dans l’infanterie française.
En 1610, l’armée royale compte treize régiments d’infanterie. Nous trouvons la première liste de batteries d’ordonnance chez le Sieur de Praissac qui écrit en 1614 que :
« l’office de tous les tambours est de battre toutes sortes d’ordonnances; comme la Marche, l’alarme, la chamade, doubler le pas, respondre aux chamades, la diane et les bans ».[1]
Il nous donne aussi quelques indications sur le rôle du tambour et de celui qui les dirige[2]. Les marques de respect et le cérémonial militaire ne sont pas encore fixés dans les textes et les conflits dans leur emploi en délimitent les usages, ainsi à propos de la batterie aux champs due au roi, quand en 1633 le maréchal de la Force en demande l’exécution : « Il eft hors de doute que la chofe fut éxecutée comme le Maréchal le fouhaitoit, & que la réponfe du Roi paffa pour un Règlement »[3]. En 1635, le Père Monet nous apprend que la chamade est un appel « qui se fait aux portes d’une place, aus aduenues d’un camp, quand on demande à parler à quelcun de dedans »[4]. A défaut d’ordonnance royale sur le service des troupes en campagne, chaque chef de guerre édicte un règlement pour ses troupes ; le cardinal de La Valette, commandant de l’armée d’Italie publie à la fin d’avril 1638 un règlement pour son armée dans lequel on trouve l’explication de l’expression battre le premier et le second.

2.2. La partition de Mersenne[5].
A la mort de Louis XIII en 1643, l’armée royale compte trente-trois régiments. 1643 est aussi l’année de la bataille de Rocroi, qui voit la fin de la suprématie de l’armée espagnole avec la défaite de ses redoutés tercios. Le fonctionnement de l’armée française s’organise sans que les règles de fonctionnement des batteries ne soient fixées par des textes officiels. La publication des partitions des signaux de trompette pour la cavalerie et la collecte des batteries de tambours en usage dans l’infanterie est faite par le Père Marin Mersenne[6] en 1636. Elle montre l’importance que la céleustique prend dans les armées.
Dans son Livre septième (Des instrumens à percussion), il explique que plusieurs méthodes permettent de noter les batteries. Outre les « notes ordinaires de la musique », il emploie des caractères spéciaux agrémentés d’accents qui correspondent à des onomatopées, vraisemblablement en usage chez les instrumentistes pour se transmettre les batteries et identifier les roulements qui les composent. Il cite « la Marche Françoise, la Diane, la Chamade, l’Assemblée », « les batteries Angloises, Hollandoises, Hespagnoles, Allemandes, &c », mais ne fournit pas les partitions dans l’édition imprimée. Elles ne figurent que dans son exemplaire personnel archivé à la bibliothèque du Conservatoire des Arts et métiers qui a été édité par le CNRS en 1986. Les conditions de la collecte des partitions ne sont pas renseignées (lieu, date, circonstances…). On peut supposer qu’il s’agit des batteries les plus connues en usage chez les tambours des régiments français car les partitions manuscrites sont inscrites sous le titre de « Batteries du tambour François » et donnent les batteries de l’ordonnance. Si ces partitions sont connues, elles n’ont jamais été étudiées ni enregistrées. D’après les queues des notes, elles distinguent la main droite de la gauche, mais elles ne donnent pas d’indication de rythme.
Avec l’Orchésographie, nous avions un répertoire de batteries servant à accompagner les soldats pendant leur déplacement, avec Mersenne, un autre répertoire apparaît servant à transmettre les ordres au sein des unités. Toutes ces batteries relèvent des usages puisqu’elles ne sont pas officialisées.

2.3. L’introduction de la générale en 1670.
En 1670, le ministère édicte une ordonnance qui introduit une nouvelle batterie dans le répertoire. Une circulaire aux gouverneurs de la frontière du 18 mars 1670 avait déjà mis en service cette batterie dans les armées du Nord. La nouvelle ordonnance du 10 juillet 1670[7] change les usages qui évoluaient jusque là suivant les besoins de la troupe.

L’ordonnance ne joint pas de partition pour cette nouvelle batterie. La circulaire du 18 mars précise que le « tambour au régiment des Gardes […] est envoyé […] pour instruire les tambours des troupes »[8]. Ainsi la nouvelle batterie est enseignée à l’imitation par un tambour du régiment des gardes françaises. Ce régiment sert de modèle et son tambour-major peut être déjà considéré comme le tambour-major-général de l’armée royale ; même si le grade n’a jamais existé, il en assume la fonction.
Le manuscrit Philidor attribue, en 1705, la composition de la « générale de la garde françoise » à Lully, sans préciser de date et la partition étant similaire à celle de la batterie du même nom figurant dans l’Instruction pour les tambours de Bombelles, on peut en déduire que la générale en 1670 a bien été composée par Lully. Si cette batterie ne s’exécute plus tout à fait à l’identique, le thème se retrouve incontestablement.
L’entrée en service de la générale marque une étape importante de la céleustique, outre qu’il s’agit d’une intervention du commandement dans le répertoire, cette batterie va déborder du cadre militaire pour entrer dans les usages des populations civiles, puisqu’elle est battue dans les villes pour rassembler les populations encore deux siècles plus tard.


[1] Du Praissac, Sieur, Les discours militaires dédiez à Sa Majesté par le Sieur du Praissac, Paris, M D C XIIII, Des offices des gens de guerre, chapitre XIIII, p. 141.
[2] Idem.
[3] Daniel, Père Gabriel, Histoire de la milice française et des changemens qui s’y sont…, Amsterdam, 1724, tome II, p. 11.
[4] Monet, Père Philibert, Invantaire des deus langues, françoise, et latine, Lyon,  1635, p. 186.
[5] Mersenne, Père Marin (Oizé, 1588 – Paris, 1648).
[6] Mersenne, Père Marin, Harmonie universelle, Paris, 1636.
[7] Fait à St-Germain en Laye le 10 juillet 1670. Signé Louis Le Tellier. Réglemens et ordonnances du Roy pour les gens de guerres T. II, Paris, MDCXCI p. 272.
[8] Circulaire aux gouverneurs de la frontière du 18 mars 1670. Archives de la Guerre, volume 636, P. 163.

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