samedi 22 avril 2017

Présentez BALAIS !


Les terroristes tuent la population et les policiers, mais les Français qui veulent commémorer les combats contre les envahisseurs se voient interdire d’utiliser des armes démilitarisées.
L'association Le Poilu de la Marne existe depuis vingt-cinq ans et célèbre tous les ans depuis quinze ans la bataille des Eparges, dont c’était cette année le 102e anniversaire.
En uniformes d’époque, les reconstitueurs du 106e régiment d'infanterie de Châlons-sur-Marne sont invités aux cérémonies. Sauf que cette années avec les mesures de sécurité nationales, les armes « même neutralisées et/ou factices » ont été interdites. 

« Cette mesure, nous ne l’avons pas comprise et elle nous a vexés, car elle traduit un manque de confiance », estime Maxime Baschirotto, secrétaire de l'association. Les membres du « Poilu de la Marne » ont donc décidé le jour J de marquer le coup, « en s’armant du seul matériel autorisé : des balais », écrivent-ils sur leur page Facebook.

Incapable d’assurer la sécurité publique — le policier tué sur les Champs-Elysées jeudi 20 avril était la 248e victime des terroristes musulmans en France depuis 2015 —, le gouvernement en est réduit à désarmer de pacifiques reconstitueurs.



lundi 17 avril 2017

Chanson de Craonne

Le centenaire de la Grande Guerre a donné l’occasion d’entendre de nombreux enregistrements de chansons ayant trait au conflit. La distinction est rarement faite entre chanson sur le conflit et chanson de soldat. De plus, la confusion entre les répertoires effectivement chantés à l’époque et la représentation que l’on peut s’en faire un siècle plus tard est entretenue par les enregistrements postérieurs. Un cas emblématique est celui de la Chanson de Craonne. Son cas a été étudié par Guy Marival[1]
On en connaît environ une trentaine de versions. Elle est d’abord apparue lors des combats de Lorette entre octobre 1914 et octobre 1915, sous le nom de Chanson de Lorette. Elle évolue ensuite pour s’adapter aux combats de Champagne au cours de l’automne 1915, puis à ceux de Verdun en 1916. Le contrôle postal relève en août 1917 une chanson sous le titre Les Sacrifiés de Craonne[2], première mention du lieu dans le titre.
« Les textes apportent la preuve irréfutable que la chanson, et même ses couplets les plus contestataires, teintés de lutte des classes et d’antimilitarisme, sont, de plusieurs mois, antérieurs aux mutineries du printemps 1917. De même, ne tient plus l’hypothèse d’un troisième couplet ajouté après la crise du printemps 17, qui évoquerait l’ombre des mutineries et où la dénonciation des embusqués serait, après les apaisements de l’Union sacrée, le prélude à une reprise de la guerre sociale. Dès sa création, dès 1915-1916, La Chanson de Lorette est l’exutoire de la lassitude et d’une certaine révolte des combattants. »[3]

Elle est publiée une première fois le 24 juin 1917 dans la Gazette des Ardennes, une publication française en territoire occupé par les Allemands. Elle est présentée comme « trouvée, en deux exemplaires écrits à la main, sur des soldats français faits prisonniers aux environs de Craonne »[4]. En 1919, Paul-Vaillant Couturier[5] en publie pour la première fois les paroles sous le titre de Chanson de Lorette[6].
C’est malheureux d’ voir
Sur les grands boulevards
Tant d’ cossus qui font la foire…
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose.
Au lieu d’ se prom’ner,
Tous ces embusqués
F’raient, mieux de venir dans la tranchée.
Tous nos camarades
Sont étendus là
Pour sauver les biens de ces messieurs-là…
C’est à vot’ tour, messieurs les gros,
De monter sur l’ plateau
Si vous voulez faire la guerre
Payez-là de vot’ peau.


Elle n’a jamais été chantée lors des mutineries de 1917, les rapports mentionnant surtout l’Internationale, et elle n’a, a fortiori, jamais été interdite puisqu’inconnue du commandement, pas plus que la dénonciation de son auteur n’a été mise à prix. Ces légendes postérieures ont contribué à populariser une chanson du répertoire des poilus en vue de lui donner une signification politique. Entrée dans le répertoire antimilitariste après la guerre, elle est rattachée aux mutineries de 1917 et à la Révolution russe de février. Elle est enregistrée une première fois en 1952 par Eric Amado pour les éditions Le Chant du monde avec Odessa valse, une chanson faisant référence aux mutineries de 1919 survenues dans la Flotte en mer Noire[7]. Elle sort des milieux pacifistes quand elle est publiée en 1961[8] et enregistrée en 1962[9] dans le coffret de disques qui accompagne la collection de livres sur l’Histoire de France en chansons. Authentique chanson des tranchées, elle sort de la confidentialité pour être politiquement instrumentalisée, l’enregistrement lui conférant une audience qu’elle n’avait pas à l’origine au point qu’elle est devenue une des trois plus célèbres chansons du conflit. Contrairement aux deux autres (Quand Madelon et Vive le pinard), elle n’est jamais publiée dans les recueils militaires.
L’histoire de cette chanson et celle de son introduction dans la mémoire collective illustre la difficulté à percevoir l’audience d’un répertoire oral. Un phénomène similaire a été observé avec la réintroduction des batteries napoléoniennes avant la Grande Guerre.

[1] Marival, Guy, La Chanson de Craonne, Regain de culture, 2014, 222 pages.
[2] Cité par Marival, SHD, 16N1552.
[3] Marival, Guy, « La Chanson de Craonne, de la chanson palimpseste à la chanson manifeste », dans Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des dames, de l’événement à la mémoire, Stock, Paris, 2004, pp. 350-359.
[4] La Lettre du chemin des dames, été 2011, p. 26.
[5] Paul Vaillant-Couturier (1892-1937), rédacteur en chef du journal  L’Humanité (1926-1929 et 1935-1937), député communiste de la Seine (1919-1928 et 1936-1937). Combattant de 14-18 (2 citations).
[6] Couturier, Paul-Vaillant, La Guerre des soldats, Flammarion éd., préface d’H. Barbusse, p. 143-150.
[7] Marival, La Chanson de Craonne, op. cit. p. 144.
[8] Barbier, Pierre ; Vernillat, France, Histoire de France par les chansons, tome 8, La IIIe République de 1871 à 1918, Gallimard, 1961, pp. 233-234.
[9] La Chanson de Craonne, Eric Amado, 30 cm, Le Chant du monde, LDX 74464, 1962.

Céleustique : définition

Céleustique : la céleustique étudie les signaux sonores utilisés dans les armées pour transmettre les ordres. Cette définition figure dans le Dictionnaire de l’armée de terre et recherches historiques sur l’art et les usages militaires des anciens et modernes, général Bardin, Paris, Perrotin, 1851, tome 8, page 707. 
Sur les navires de l’antiquité, le céleuste était chargé de transmettre les commandements par le sifflet. Depuis la transmission des ordres par la radio, les musiques d’ordonnance ont perdu leur rôle principal. Elles sont encore utilisées dans le cérémonial militaire et parfois pour entretenir les tradition certaines unités maintiennent l’usage des sonneries de quartier.

La céleustique – le général Bardin le déplorait déjà au milieu du XIXe siècle –, est un domaine en déshérence du patrimoine militaire. Cette chronique a pour objectif d’en relancer l'étude et même la pratique. Elle s’ouvre donc par la présentation du principal instrument d’ordonnance dans l’infanterie : le clairon.
Le clairon traditionnel français en si bémol est un instrument conçu par le facteur d’instruments Antoine Courtois en 1822 sur le modèle du bugle anglais. Il s’agit d’un instrument naturel, il ne possède aucun mécanisme et les sons qu’il produit ne sont que les harmoniques naturelles de la fondamentale en si bémol. Sous l’Empire, les tirailleurs utilisaient déjà des cornets pour transmettre les ordres. Le clairon en est une amélioration.
Il vise à remplacer le tambour comme principal instrument d’ordonnance. Le rôle principal des instrumentistes d’ordonnance est de transmettre les ordres. Dans l’infanterie, les instrumentistes d’ordonnance sont les tambours. Dans la cavalerie, ce sont les trompettes.
Ces instrumentistes sont soldés comme les autres militaires, alors que les musiciens d'harmonie sont soit soldés, soit des gagistes. Le tambour est le principal instrument d’ordonnance depuis François Ier. C’est Pierre Melchior, chef de musique de la Garde royale sous Louis-Philippe, qui compose 26 sonneries pour ce nouvel instrument en s’inspirant des batteries de tambour alors en usage. Elles sont officiellement adoptées et publiées par l’ordonnance du 4 mars 1831. La plupart de ces sonneries sont toujours en vigueur dans l’armée française.
Les ordonnances, règlements et instructions ultérieurs ne feront que supprimer ou ajouter des sonneries. Sans qu’une nomenclature ait été établie, le général Bardin déplorait la confusion qui régnait dans les dénominations des musiques d’ordonnance, on distingue trois types de sonneries : les sonneries de quartier, les sonneries de manœuvre et les sonneries de cérémonie. Les sonneries qui figurent dans les textes officiels ne donnent qu’un aperçu limité du répertoire réellement en usage. En effet, le règlement ne fait bien souvent qu’entériner une pratique déjà en vigueur. Ainsi les sonneries régimentaires n’ont-elles jamais fait l’objet d’une réglementation, sauf pour les chasseurs.
Pourtant elles étaient indispensables. Comment déterminer en manœuvre ou en campagne à qui est destiné l’ordre s’il n’est pas distingué par le refrain régimentaire ? La première publication des refrains régimentaires et faite dans l’Almanach du drapeau en 1907. Mais pour des raisons de bienséance, les paroles sur lesquelles sont sonnés ces refrains sont expurgées de leurs paroles grivoises. Les musiciens d’ordonnance, les clairons en l’occurrence, apprennent les sonneries à l'imitation car, bien souvent, ils ne lisent pas la musique. Pour retenir ces mélodies, ils accolent des paroles à la musique.
Ces paroles muettes, car elles ne sont pas destinées à être chantées sont bien souvent grivoises. Le même procédé mnémotechnique est utilisé par les sonneurs de trompes de chasse. 
La consultation des méthodes de clairon, ainsi que celles des autres instruments d’ordonnance, permet de découvrir de nombreuses autres sonneries ne figurant pas dans les règlements. On y trouve notamment : Rencontre de troupe ou passage devant un poste, Cri de détresse, Couchez-vous, Levez-vous, Formez les faisceaux, Rompez les faisceaux, Sac à terre, Sac au dos, Reconnaissance de troupes infanterie, Reconnaissance de troupes cavalerie, Cri d’alarme au feu, En tirailleurs, Le Rappel aux clairons, Changement de direction à droite, Changement de direction à gauche, Ralliement par escouade, Ralliement par demi section, Ralliement par section, Ralliement sur les centres, Ralliement sur les bataillons, Ralliement sur la réserve, Sonnerie des grosses carabines, Déployer en tirailleurs, Refrains des diverses compagnies par bataillon (10 compagnies), L’école du premier degré, L’école du deuxième degré, Le cours du troisième degré, Le cours de chant, Aux sous-officiers punis

Cette énumération donne un aperçu de l’ampleur du répertoire. On peut considérer que la période entre 1870 et 1914 constitue véritablement le chant du cygne de la céleustique. La guerre de 14 avec les tranchées et la mise en service du téléphone de campagne va sonner le glas des sonneries d’ordonnance. Toutefois, la célèbre sonnerie Aux morts est composée après la guerre et
interprétée pour la première fois le 14 juillet 1931 sous l'Arc de Triomphe, montrant que la céleustique est indispensable au cérémonial.

mardi 11 avril 2017

Pourquoi la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ?

Il suffit d’ajouter “militaire” à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique, ou formulé en termes encore plus réducteurs : « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique ». Ce qui donne en anglais : « Military justice is to justice what military music is to music ».
La première citation est attribuée généralement à Clemenceau (1841-1929), la seconde à Groucho Marx (1890-1977). Lequel a inspiré l’autre ? Si toutefois elles sont authentiques.
Répétée ad nauseam par ceux qui veulent se donner un verni de culture, cette citation est révélatrice d’une profonde ignorance de l’histoire et du rôle de la musique militaire française. Elle s’appuie, en France, sur un montage jamais décrypté. Voici donc en quelques mots les motifs pour lesquels la musique militaire est utilisée comme bouc émissaire avec la caution, réelle ou imaginaire, de Clemenceau.


Tout d’abord la caution. Vieux routier radical-socialiste de la IIIe République — il entame sa carrière politique à Paris en 1870 —, Georges Clemenceau est nommé président du Conseil en novembre 1917, il est alors surnommé le Tigre. Négociateur à la Conférence de Versailles, il devient le Père la Victoire. Républicain, anticlérical, il est redouté pour ses formules assassines. La victoire en a fait une icône de la République, donc une excellente caution.
Le bouc émissaire. La musique militaire a connu un considérable développement depuis l’adoption des instruments de Sax en 1845. Profitant de l’outil exceptionnel mis à sa disposition, la IIIe République sait l’exploiter pour se concilier l’opinion publique en faisant donner des concerts en plein air dans toutes les grandes villes et elle l’utilise pour son prestige à l’étranger. Il ne s’agit ni plus ni moins de que la réalisation du projet révolutionnaire amorcé avec les grandes festivités données au Champ-de-Mars, mais inachevé pour des raisons techniques (il n’existe pas encore de véritables instruments de musique de plein air). Les kiosques à musique, les musiques militaires — et les harmonies civiles — contribuent à créer l’atmosphère de la Belle Epoque. Sans que le répertoire soit spécifiquement militaire, bien au contraire, ces musiques participent à ce climat, encouragé par toute la population qui va porter la militarisation de l’Europe à niveau jamais égalé.

Les décomptes des affreuses hécatombes qui ont permis la victoire de 1918 entraînent un rejet de ce qui avait pu conduire à ces massacres. Il est évidemment impossible d’en rendre responsable la population ni ses dirigeants. Par contre la musique militaire est un bouc émissaire idéal, d’autant plus que la technologie ne rend plus son rôle indispensable pour le divertissement des masses. En effet, d’autres modes de spectacles apparaissent et la musique peut être enregistrée et bientôt amplifiée. Les instruments de musique de plein air perdent leur rôle principal d’animation des festivités populaires. Cantonnées dans leur fonction d’animation du cérémonial, les musiques militaires peuvent être d’autant plus facilement dénoncées que le devoir de réserve imposé aux militaires leur interdit de se défendre directement, que le courant antimilitariste obtient des soutiens politiques et que l’histoire de la musique militaire reste mal connue. 
Même si des recherches sur l’origine et la paternité réelles de cette citation font encore défaut, on peut constater que compte tenu des services rendus, il y a là un considérable manque de reconnaissance de la part de la République. L’usage de cette citation entretient encore de nos jours cette injustice et cette ignorance.