4. Le temps du règlement : l’Instruction pour les tambours de Bombelles.
Les
conflits entre les différentes marches, héritage des particularismes des unités
à une époque où les régiments avaient moins l’occasion de travailler ensemble,
oblige le commandement à imposer un répertoire de batteries d’ordonnance commun
à toute l’infanterie, sauf les Suisses en raison de leur capitulation. Cette
décision est prise par le roi et son secrétaire d’Etat de la Guerre, le comte d’Argenson[1],
qui vont superviser personnellement toutes les étapes de la mise en œuvre de
ces nouvelles batteries, signe de l’importance particulière de cette réforme
exceptionnelle. Après des expérimentations conduites sur plusieurs années, l’aide-major
aux gardes françaises Joseph-Henri de Bombelles[2]
compose les batteries de la nouvelle ordonnance de l’infanterie. Les douze
batteries publiées ne sont pas des créations puisqu’il reprend celles qui
existent, mais c’est leur première édition officielle, par contre l’accompagnement
au fifre ou au hautbois est bien une composition différente des mélodies
collectées par Philidor.
Le soin apporté à la réalisation de l’Instruction pour les tambours[3]
en fait un document sans équivalent dans l’histoire de la céleustique française
et internationale. La gravure de l’édition est faite sur cuivre, un procédé
réservé à la musique de qualité et la page de partition a une dimension
inusitée pour ce type de document (67 cm de long par 28 cm de large). La
partition distingue la main droite de la main gauche ainsi que le pied droit du
gauche, tout en précisant la vitesse d’exécution des roulements (1 seconde, ½
ou 2 secondes par mesure). Nous sommes donc en face d’un véritable traité de
chorégraphie militaire destiné à régler les mouvements des soldats et des
unités. Aucune administration militaire française ou étrangère n’a jamais
poussé si loin la réglementation de la céleustique. Ce projet très ambitieux de
régler tous les mouvements du soldat et toutes les manœuvres de l’infanterie
est conçu autour de l’Ordonnance du roi
sur l’exercice de l’infanterie du 6 mai 1755. L’ordonnance est complétée
par des planches qui détaillent les positions du soldat et d’autres qui
expliquent les mouvements des unités. « Pour suppléer au défaut de la voix lorsqu’elle ne pourra se faire
entendre sur l’étendue du front des bataillons, on se servira des batteries des
tambours pour annoncer chaque mouvement »[4]
et leur correspondance est indiquée dans le texte, faisant ainsi le lien avec
la partition. Texte, gravures et partitions forment un système inscrit dans la
« science des évolutions » qui est « le principe du grand Art de
la Tactique » tel que l’envisage le comte de Bombelles[5],
son concepteur.
Reprenant les préconisations du maréchal de Saxe, ce système
introduit le pas cadencé dans l’armée royale à 60 et 120 pas par minute. L’ordonnateur des mouvements est le tambour-major qui a pour attribut la
même canne que le maître de ballet et qui est la même que celle du roi lui-même.
En fait leur rôle est identique, celui de donner le rythme au pas militaire,
aux danseurs du ballet et à la vie du royaume.
L’Instruction donne pour la
première fois la correspondance entre les onomatopées et leur notation. Les
batteries sont enseignées par le tambour-major des gardes françaises, Jacques
Bouroux. 112 tambours venus des régiments royaux sont formés pendant deux mois
aux Invalides. Cette formation spéciale n’a pas d’équivalent dans l’histoire de
l’infanterie. Les tambours sont ensuite passés en revue par le roi en personne
à Versailles le 1er décembre 1754[6].
Trois exemplaires de l’Instruction sont à la bibliothèque du
musée de l’Armée. Un des trois exemplaires de la Bibliothèque nationale[7]
est relié en maroquin brun avec le blason royal. L’exemplaire archivé à la
bibliothèque de l’Arsenal[8]
porte la mention manuscrite en page de garde :
« C’est en 1755 que fut rendue l’ordonnance
en vertu de laquelle tous les tambours de l’infanterie françoise battent les
airs contenus dans ce volume. M. de Bombelles alors ayde-major, à présent capitaine, aux gardes françoises eut
la plus grande part aux choix de ces airs. M. le Mal de Biron[9]
les adopta, M. le comte d’Argenson les approuva enfin le Roy les agréa et un
certain nombre de tambours de tous les régiments d’infanterie se rendit aux
Invalides pour les apprendre et les répandre dans toute l’infanterie ce qui fut
bientôt fait. »
L’Instruction décrit les différents types de coups, et
distingue ceux qui sont donnés avec la main droite, de ceux qui sont donnés
avec la main gauche. Cette distinction était déjà chez Mersenne sans que l’on
sache si Bombelles en a eu connaissance. Il précise la signification des
onomatopées utilisées par les instrumentistes. Le rédacteur se conforme aux
usages des tambours qui identifient les battements par ces expressions afin de
pouvoir les pratiquer et les transmettre. Il s’agit du système déjà attesté
dans l’Orchésographie et qui se
retrouve dans les méthodes de tambour.
Systématiquement
mentionnée dans les éditions ultérieures des règlements d’exercice, la
partition de Bombelles ne sera jamais rééditée – sauf pour la Nouvelle instruction sur
l’exercice des gardes-côtes de Bretagne
publiée à Saint-Malo en 1758[10]
– ni réformée avant 1831, restant la référence durant les guerres de la
Révolution et de l’Empire. Le général Bardin la mentionne et reproduit ses
partitions dans son Dictionnaire,
mais Kastner dans son Manuel de musique militaire[11]
fait une erreur dans sa datation et le nom du compositeur, indiquant ainsi qu’elle
tombait dans l’oubli.
[1] D’Argenson, Marc-Pierre de
Voyer de Paulmy, comte (Paris, 1696 – Paris, 1764), secrétaire d’Etat de la
Guerre de 1743 à 1757.
[2] Bombelles
Joseph-Henri de. Plusieurs fois blessé au combat, maréchal de camp en 1781
(Oloron, 1721 – Paris, 1783), ShD 4 Yd 2731.
[4] Ordonnance du roi sur l’exercice de l’infanterie du 6 mai 1755, p.
78.
[5] Bombelles Henri-François (1680-1760). Traité des évolutions militaires,
1754. Lieutenant général, gouverneur de la place forte de Bitche.
[6] Gazette de France, 1754, n° 49, p. 584. Mercure de France, janvier 1755, p. 210.
[7] BnF Vm8 Q.3
[8] Arsenal 4S 4338.
[9] Louis-Antoine de
Gontaut-Biron, maréchal de France, est le chef de corps des gardes françaises
de 1745 à 1788.
[11] Kastner, Georges, Manuel de musique militaire, Paris,
1848.
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