mardi 18 décembre 2018

Chanson et antimilitarisme

Outil d’expression, la chanson rend compte de l’état d’esprit de la communauté qui l’utilise en même temps qu’elle établit un dialogue avec celles à qui elle s’adresse. L’antimilitarisme est un concept moderne apparut à la charnière des XIXe et XXe siècles. Un inventaire des chansons embrigadées sous cette étiquette met à jour un répertoire hétéroclite. 
Profitant largement du caractère polysémique de la chanson populaire, la chanson “antimilitariste” a mis à contribution des répertoires qui ne le sont pas vraiment. Si le terme est récent, la contestation de l’armée est consubstantielle à l’institution. Toutefois, elle est plus individuelle que collective (Je maudis le sergent, vers 1780 ; L’Armée de Bellone, 1811 ; Le Conscrit de 1810), car ces compositions sont très certainement l’œuvre de lettrés plus que de soldats majoritairement analphabètes à cette époque. 


Il ne faut pas confondre ces compositions avec des chansons de soldat pouvant s’apparenter à une contestation de l’autorité (La Galette, 1845 ; La Protestation des chasseurs, 1871 ; Les Fayots, vers 1900), mais relevant plutôt d’une certaine liberté d’expression militaire.


La Révolution ayant institué la conscription et inventé le patriotisme, les mouvements ouvriers peinent à dénoncer l’armée, aussi bien lors des féroces répressions des insurrections parisiennes de la première moitié du XIXe, que pendant la Commune ou encore à la veille de la Grande Guerre. Malgré une tentative comme Le Soldat de Marsala (publication en 1872), la chanson antimilitariste n’existe pas.



Le comique troupier à partir de 1891 et l’autorisation de se produire sur scène avec des effets militaires, sans être antimilitariste, ouvre néanmoins la voie à une critique de l’armée.
La première véritable chanson antimilitariste serait Gloire au 17e. Elle profite d’une erreur du commandement car les soldats qui mettent la crosse en l’air ne se révoltent pas contre l’armée, ils refusent d’obéir car ils ne veulent pas tirer sur leurs parents, leur unité est issue de la région. La chanson est composée en 1907, à l’époque où le terme apparaît.




Après la Grande Guerre et ses hécatombes, le Front populaire apporte une caution politique au courant antimilitariste. Il sait utiliser la chanson pour diffuser l’idée comme avec Giroflé-girofla (1935). Il sait aussi récupérer le répertoire des poilus pour faire d’une de leur compositions, la Chanson de Lorette, un titre emblématique de leur répertoire, la Chanson de Craonne, jamais chanté par les mutins de 1917, ICI



Le répertoire prend de l’ampleur après la 2e GM avec Yves Montand et Quand un soldat (Francis Lemarque, 1952). Cette chanson répond aux premiers enregistrements de chants légionnaires (1950) et ouvre un véritable dialogue dans l’opinion publique entretenu au cours des décennies suivantes. La révolution technologique opérée par le disque (78 tours puis microsillon) participe d’une démocratisation de l’écoute de la musique qui permet la diffusion de ces nouvelles chansons, généralement interdites d’antenne. 


Ces échanges, entre le dernier répertoire de chansons de métier d’un côté, quelques chansonniers (Montand, Vian, Brassens, Ferré, Le Forestier, …) et le courant folk des années 1970-80 de l’autre, rendent compte d’une profonde fracture dans l’opinion publique. Les chansons contribuent à regrouper les communautés qui s’identifient à leurs paroles. Jdanov, ministre de la Culture de Staline avait bien compris l’intérêt d’utiliser les artistes pour relayer son programme politique. Directement visés, les soldats répondent aussi par des chansons entretenant une sorte de débat dont on entend encore parfois les échos. En effet, il faut intégrer dans ces échanges les polémiques sur l’interprétation et les paroles de la Marseillaise, pour leur contestation de l’hymne national qui est à l’origine le Chant de guerre pour l’armée du Rhin.

2 commentaires: