mercredi 29 mars 2017

Chuck Berry, l’apôtre de la musique de masse

Chuck Berry est mort à 90 ans, le rock, ça conserve. Particulièrement inspiré, ce guitariste noir du Missouri a opéré la fusion entre la musique afro-étasunienne et la musique blanche country d’origine irlandaise pour donner naissance, au milieu des années 50, au rock and roll. Une musique rapide, calée sur le rythme du moteur, une musique de l’ère industrielle qui ouvre sur la musique de masse. Chuck Berry va devenir le modèle de toute une génération de musiciens occidentaux, qui imitent son style et son côté sulfureux fait de prison, de filles et de dollars, y ajoutant souvent les drogues. Un de ses standards sorti en 1958, Johnny B. Good, est repris par les plus grands guitaristes, Elvis Presley, les Beatles, Keith Richard, Jimi Hendrix, Eric Clapton et bien d’autres, pour devenir celui d’une génération. En France, il est introduit par Eddy Mitchell et Johnny Halliday. Vingt ans après les soldats français qui avaient combattu sous l’uniforme US, leurs émules musiciens renouvelaient ainsi l’allégeance à leur suzerain, overlord en anglais[1]. Le jazz était arrivé en Europe en 1917 avec le corps expéditionnaire US, illustrant le déplacement du centre de gravité culturel, mais aussi économique et politique, de la civilisation occidentale. Quarante ans plus tard, le rock va conforter cette hégémonie, lui donnant une dimension planétaire. 

Par l’influence qu’il a exercée, Chuck Berry est une sorte de porte-avions des troupes d’occupation culturelles de la mondialisation. Que ce soit par les armes ou la musique, l’objectif est identique : la conquête de nouveaux marchés économiques. Le combat pour la suprématie s’est simplement déplacé du militaire au culturel. En 1977 consécration suprême, Johnny B. Good est même sélectionné par la NASA pour présenter le portrait musical de l’humanité auprès d’éventuels extra-terrestres que rencontrerait la sonde Voyager, à l’égal de Bach, Mozart et Beethoven. On passe du planétaire à l’interstellaire.
Mythe vivant, Chuck Berry n’avait pas besoin de groupe pour l’accompagner, où qu’il aille se produire avec sa légendaire Gibson rouge, il trouvait toujours des musiciens connaissant son répertoire, parfois plus ou moins bien. Sa musique apparaît à une période charnière où la rencontre de la guitare électrique, du microsillon et de la société de consommation va ouvrir le marché de la jeunesse, opérant une fracture entre les générations. Il est presque étonnant d’observer comment les populations de vieille souche européenne vont joyeusement abandonner leurs références musicales ancestrales pour ces nouveaux standards, envoutants certes, mais néanmoins particulièrement corrosifs pour leur identité culturelle. Le modèle étant tellement entré dans les mœurs qu’il n’est même plus contesté.
L’émergence du rock coïncide d’ailleurs avec l’abandon la plus longue mémoire musicale de la civilisation européenne quand l’Eglise de Vatican II élimine le grégorien de la liturgie ordinaire. Entrainant l’adhésion des masses, la musique devient un outil majeur d’un affrontement de civilisations. Ainsi la célébration de Chuck Berry a quelque chose de morbide, elle est celle de l’effondrement du modèle culturel de la vieille Europe. 



[1] Operation Overlord (suzerain) est traduit par débarquement en Normandie des troupes étasuniennes en 1944. De même, The Invasion est traduit par bataille de Normandie.

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